jeudi 21 février 2013

Les Médusés au Louvre – un parcours chorégraphique de Damien Jalet



Le Louvre a toujours eu une place à part dans mon cœur. Berceau de l’Art français, temple de tous les superlatifs, lieu de recueillement de mes premières découvertes culturelles, cadre privilégié de ma vie étudiante à l’époque ou je fréquentais les bancs de l’école qui en porte fièrement le nom, je ne peux me lasser de la beauté majestueuse de son cadre et de la richesse de ses collections. Grande Dame ayant fêtée son bicentenaire depuis longtemps déjà, le Louvre ne cesse de créer l’événement quant à son abondante actualité culturelle. Doté il y a quelques mois à peine d’un nouveau département des Arts Islamiques mettant les aspects didactiques et interactifs au cœur d’une toute nouvelle muséographie, le Louvre a décidé, une fois de plus, d’inviter l’un des Arts les plus éphémères qui soit à l’intérieur de ses murs – la Danse. Et ce n'est pas la première fois que « Terpsichore » y prend ses quartiers d'hiver. Après les succès des Cartes Blanches données aux chorégraphes Jean-Claude Gallotta ou encore à Carolyn Carlson, c’est au tour de Damien Jalet de livrer sa vision de la danse au travers d’un dialogue riche et moderne mêlant sculptures classiques et danse contemporaine lors de trois nocturnes exceptionnelles. Le destin faisant parfois bien les choses, nous avons ainsi eu la chance d’assister, au hasard de l’une de nos pérégrinations artistique du vendredi soir au Louvre, à l’une de nos plus intéressantes et émouvantes expérience de Danse Contemporaine – Les Médusés !

© Dédale - Les Garçons aux Foulards


Et médusé je le fus, fasciné par le pouvoir hypnotique du spectacle qu’il nous a été donné de voir. Musique, chants traditionnels, danse contemporaine, sculpture et architecture, le tout proposé en un parcours chorégraphique intelligent et espiègle dans les principales salles et cours du musée dédiées à la sculpture de l’Antiquité Perse jusqu’à la fin du 19ème siècle – « Je voulais rester dans les salles de sculptures, très chargées de thèmes mythologiques, peuplées d'animaux et de dieux, mes obsessions personnelles. Au premier coup d'œil, les sculptures françaises sont la quintessence du classicisme aristocratique, mais elles révèlent en fait une incroyable sauvagerie » explique au journal Le Monde Damien Jalet. Illusion d’optique ou réalité, les statues prennent vie au cœur du Louvre et livrent leurs secrets aux visiteurs intrigués par ce spectacle inattendu. Entouré de douze danseurs de la compagnie Eastman et de quinze étudiants du conservatoire de danse d'Anvers, Damien Jalet propose neuf histoires, neuf œuvres revisitées, neuf chorégraphies entraînant le spectateur dans un voyage à travers l’histoire de l’art, des collections du plus grand musée au monde et de la danse entre références classiques et modernité formelle. « A l’image de Méduse qui pétrifie celui qui croise son regard, je voudrais interrompre la marche du visiteur et le suspendre dans l’éternité des œuvres. Intermédiaires entre deux mondes, les danseurs et les musiciens se font passeurs de l'énergie intrinsèque des sculptures ; les rôles d'envoutés et d'envouteurs s'inversent alors comme dans les rituels animistes » raconte Damien Jalet.

Au fil de nos découvertes d’un soir, quelques-uns de nos coups de cœur.

Les Médusées – Sous l’immense verrière surplombant la majestueuse Cours Puget, tout d’abord attirés par les premières notes ensorcelantes interprétées en live par le groupe Winter Family, nous apercevons trois figures féminines. Corps dénudés, teint blanc, toges antiques revisitées par le talent du créateur Bernard Wilhelm, le trio féminin s’inspire de la nature ensorceleuse des nymphes de Marly. Lentement, telle une incantation, une polyphonie prend place et nous hypnotise par sa rythmique complexe. Les trois nymphes, sculptures vivantes que l’on penserait tout droit sorties d’un bas-relief antique, livrent une danse saccadée où chaque mouvement semble vouloir briser un envoûtement, et chaque regard se charge d’un pouvoir pétrificateur. Références aux poses des figures peintes sur les fresques grecques, flashback, les images d’un Nijinski sensuel cassant les codes de la danse classique dans le Prélude à l’Après-Midi d’un Faune nous reviennent en tête. Près d’un siècle plus tard, les trois personnages secondaires féminins du Faune prennent les devant et sont au centre d’une chorégraphie mêlant mouvements d’ensemble et arrêts saccadés structurant la danse de ces pauses antiques. 






© Les Médusées - Les Garçons aux Foulards
© Les Médusées - Les Garçons aux Foulards
© Les Médusées - Les Garçons aux Foulards
© Les Médusées - Les Garçons aux Foulards

                                             

Dédale – Pendant masculin de l’œuvre Les Médusées, on retrouve au niveau supérieur de la Cours Puget, sans doute l’une des chorégraphies les plus surprenantes de prime abord. Juché sur un piédestal au format XL, un trio masculin vêtu de latex, inspiré du mythe de Thésée, héros triomphant du Minotaure grâce au fil d’Ariane, se produit à quelques centimètres du public. A l’image du labyrinthe, crée par Dédale pour enfermer le Minotaure, le trio suggère la perte de soi dans l’autre et évoque l’indissociabilité de l’homme de sa part animale, qui le guide et le domine. Formant une immense créature polymorphique, les corps se mêlent, s’enchevêtrent et se démêlent sans pour autant jamais se séparer, créant des figures faisant indéniablement référence à la statuaire mythologique du Louvre. Cavalier dominant la Bête, Minotaure terrassant le héros, ou même poses inspirées du Radeau de la Méduse, tant d’œuvres viennent à l’esprit et se glissent inconsciemment à la lutte esthétisante en latex noir entre humanité et animalité présentée. N’est ce pas d’ailleurs le combat qui est livré de façon quotidienne en chacun de nous et dont nous sortons plus ou moins victorieux ?... la question reste ouverte.





© Dédale - Les Garçons aux Foulards
© Dédale - Les Garçons aux Foulards
© Dédale - Les Garçons aux Foulards
© Dédale - Les Garçons aux Foulards
« Intermédiaires entre deux mondes, les danseurs et les musiciens se font passeurs de l'énergie intrinsèque des sculptures » résume Damien Jalet.

© Dédale - Les Garçons aux Foulards
© Dédale - Les Garçons aux Foulards
© Dédale - Les Garçons aux Foulards
© Dédale - Les Garçons aux Foulards



Venari – Seule œuvre chorégraphiée mais également interprétée par Damien Jalet, Venari (nom désignant la chasse en latin), solo masculin inspiré du mythe d’Actéon, personnage antique métamorphosé en cerf par Diane, déesse de la Chasse après l’avoir surprise au bain, joue sur l’idée de transgression humaine, de transformation et de la dualité coupable/victime.  Sous le regard des Nymphes de Diane, le danseur, au bord de la folie, exécute une chorégraphie nerveuse aux accents de délire où il devient à la fois chasseur et chassé. Tourbillonnant, haletant, prisonnier de sa nouvelle condition et de sa funeste destinée, le cerf/chasseur poursuis sa fuite éperdue au bout de ses forces, et meurt.





© Venari - Les Garçons aux Foulards
© Venari - Les Garçons aux Foulards

« L’énergie et le mouvement contenus dans ces statues ont été ma principale source d’inspiration ; elles dégagent un magnétisme qui me fascine et expriment une tension non résolue entre humanité, animalité et divinité. Je souhaiterais par la danse libérer ces figures minérales et, pour cela, j’ai demandé aux danseurs de s'engager complètement dans des chorégraphies parfois très physiques » ajoute Damien Jalet.

© Venari - Les Garçons aux Foulards
© Venari - Les Garçons aux Foulards


Sin – Cours Marly, changement d’époque et de civilisation, c’est grâce à la voix envoutante et aux airs sublimes aux parfum d’Orient lointain interprétés par Sattar et Mahabub Khan que l’on découvre la chorégraphie de Sin. Une danse organique où un duo masculin/féminin, voit un couple d'interprètes ne plus former qu'un seul corps dans une gestuelle à l'érotisme diffus. Les corps omniprésent s’attirent, s’enchevêtrent, combattent et finalement se repoussent. Inspiré du mythe du couple primordial, ce duo viscéral, symbolise la séparation de l’être unifié et le rapport du pouvoir qui en découle. Quête poignante de liberté, d’individualité et de possession, le résultat qui en découle est sans appel – la ruine et la souffrance.    





© Sin - Les Garçons aux Foulards
© Sin - Les Garçons aux Foulards
© Sin - Les Garçons aux Foulards
© Sin - Les Garçons aux Foulards



Par-dessus tête – Sans doute chorégraphie qui incite de prime abord le plus au sourire, on y découvre, au milieu des sculptures décapitées du souverain sumérien Gudea, le danseur japonais Kazutomi Kozubi dont le crâne grimé, fait ressurgir l’esprit d’un roi qui a perdu la tête. Personnage antique aux traits des plus sympathiques pour les néophytes, les « Gudeas » sont l’un des mystères de la statuaire Perse et l’un des personnages m’ayant le plus marqué lors de mon passage sur les bancs de l’amphithéâtre Rohan. Cruels et sanguinaires contrairement aux traits bienveillants de leurs représentations, les Princes de Lagash, suite sans doute à une révolte, ont été renversés, et avec eux leurs représentations terrestres mutilées. Clin d’œil de Damien Jalet à l’histoire tortueuse de cette dynastie, la réincarnation faussement sympathique de Gudea amuse et fait sourire, jusqu’au moment plus inquiétant ou il vise l’auditoire et menace de leur « couper la tête ». 

© Par-dessus tête - Les Garçons aux Foulards
© Par-dessus tête - Les Garçons aux Foulards 
© Par-dessus tête - Les Garçons aux Foulards
© Par-dessus tête - Les Garçons aux Foulards

Corps bercé par la folie de plusieurs générations de princes meurtriers, la danse se termine dans une convulsion à mi-chemin entre rédemption et piété, à même le sol, face aux bustes calmes de ces prédécesseurs. Envouté autant par la prestation physique et terriblement novatrice de Kazutomi Kozubi, on est tout autant bercé par la langoureuse voix de Sofyann ben Youssef et de ses chants Perses nous emportant loin, sur les confins du fleuve Tigre, devant les portes du palais de Gudea dans l’antique Sumer.

© Par-dessus tête - Les Garçons aux Foulards
© Par-dessus tête - Les Garçons aux Foulards
© Par-dessus tête - Les Garçons aux Foulards
© Par-dessus tête - Les Garçons aux Foulards

« Le temps de ces nocturnes, je rêve d’un musée devenu labyrinthe où les visiteurs déambulent avec pour fil d'Ariane une succession d'images orphiques, physiques et sonores, qui résonnent avec les salles du Louvre, et avec l’intimité de chacun » - paris réussi que propose Damien Jalet pour encore une représentation exceptionnelle le vendredi 22 février de 19h à 21h15 dans le cadre des Cartes Blanches du Musée du Louvre. Outre ces cinq chorégraphies à l’intensité et à la force d’expression que quelques mots et quelques images ne pourrons pas totalement vous retranscrire, quatre autres tableaux vous ferons voyager au cœur du Louvre et de ses collections de sculptures classiques. De la cours Marly, à la cours Puget en passant par les merveilleuses fondations de l’époque Louis-Philippe c’est un véritable parcours à travers le temps et l’espace que nous propose Damien Jalet. Un dialogue chorégraphique entre différentes formes d’Art qui incite à la rêverie et à l’introspection. Evénement rare à la beauté éphémère, rappelons par ailleurs que l’entrée au Louvre reste gratuite pour l’ensemble des jeunes de moins de 26 ans. Il serait dommage de ne pas profiter une dernière fois de ce spectacle, en tout cas, pour notre part, nous serons là, au premier rang, heureux d’avoir l’occasion de tomber une fois de plus sous le charme des tableaux chorégraphiques de Damien Jalet.

© Les Médusées - Les Garçons aux Foulards





Mais avant cela, laissons le dernier mot à Damien Jalet, qui mieux que personne pourra en quelques mots résumer ce dialogue riches aux facettes multiples. « Je conçois la danse comme un art très ancien, plus ancien que toute référence académique ou folklorique à laquelle elle est très souvent associée, un art premier, antique dans le sens archaïque du terme. C’est peut-être l'art dont il est le plus difficile de rendre compte dans un musée, tant sa manifestation semble condamnée à l'éphémère, alors que la sculpture incarne pour moi la notion d’éternité. Mis en relation, ces deux mondes n’en résonnent que plus fortement. Je vois la danse comme un art sculptural et la sculpture comme un art chorégraphique. D'un côté le mouvement se fige dans la pierre, de l'autre il traverse la peau, les muscles, les os »

A.

2 commentaires:

  1. Tes reportages sont sensationnels... J'apprends beaucoup. BRAVO.

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    1. Bonjour Alice, mille mercis pour ces très aimables commentaires. Je suis ravi que le blog vous plaise et que vous découvriez mille choses au fil de nos articles. J'espère qu'il en sera de même à l'avenir. A très bientôt. A.

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